Jean Gabin, le gentleman-farmer
L’immense acteur fut un amoureux viscéral de la terre, au point de lui consacrer son temps libre et ses moyens. Son domaine, La Pichonnière dans l’Orne, était peuplé de vaches et de chevaux qu’il éleva et fit courir. Récit.
Gabin. Un acteur qui nous plonge dans un demi-siècle de cinéma. Pépé le Moko, la Grande Illusion, le Quai des brumes, Touchez pas au Grisbi, le Président, Un singe en hiver, le Clan des Siciliens, Le cave se rebiffe, le Gentleman d’Epsom… on voudrait tous les citer… Des chefs-d’oeuvre pour certains d’entre eux, de grands films pour d’autres, de moins bons parfois, mais tous ont bénéficié de la présence d’un acteur exceptionnel, d’un monument du cinéma français : Jean Gabin (1904-1976). 98 films, près de cinquante ans de carrière, sa première apparition sur la pellicule remontant à 1928 dans le court-métrage muet l’Héritage de Linette de Michel du Lac, sa dernière apparition, dans le film de Jean Girault : l’Année sainte avec Jean-Claude Brialy (1976).
Mais derrière l’acteur au ton et à la démarche si caractéristique, il y a un homme discret, voire secret. « Pudique et anxieux », diront ses enfants Florence et Mathias Gabin-Moncorgé dans un très joli livre (Gabin hors champ). Détestant par-dessus les mondanités, il reçut la Légion d’honneur ou présida la cérémonie des Césars à reculons. Une chose n’est pas contestable : Jean Gabin se définissait comme un amoureux viscéral de la terre, au point de lui consacrer son temps libre, son argent et bien plus encore. Une terre peuplée de vaches et de chevaux. Car il les a aimés ces chevaux lui qui en avait une peur bleue ! À un moment, il en a eu plus de cent ; il a élevé, a eu des trotteurs, quelques galopeurs, adorait les voir courir sous ses couleurs (casaque boutond’or, toque lilas). Il eut une passion dévorante pour le turf : « À la maison, témoigne son fils Mathias Moncorgé, la vie gravitait autour des courses. »
Lorsqu’on s’intéresse un peu à Jean Gabin, on apprend qu’il fit tout bonnement construire l’hippodrome de Moulins-la-Marche dans l’Orne (et qui est toujours en activité) et dit à ce propos : « Je suis le seul homme en France avec Marcel Boussac à posséder un hippodrome. » Signe qui ne trompe pas : la seule fois où il demanda à être pris en photo, ce sera entouré de deux poulinières trotteuses – Hortense VII et Masina (la première lui appartenait) – : là ses yeux brillent. Bref, comme le raconte son fils : « les chevaux figurent comme une passion dévorante comme ce coup de foudre quasi charnel pour le monde de la terre ».
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Son père, grand amateur de courses hippiques et un peu flambeur, l’emmenait sur les hippodromes. « En 1909, sur les épaules de mon père, j’ai vu gagner à Longchamp le cheval Rond d’Orléans du marquis de Saint-Alary [un des grands propriétaires de l’époque qui a donné son nom à un Groupe I couru aujourd’hui à Longchamp], monté par Milton Henry. Casaque rayée jaune et marron, toque idem », racontait-il. Cette éducation hippique se parfait dans les bistrots de la gare du Nord où, certains soirs son père venait taper au carreau et rejoignait turfistes et gens du milieu. D’ailleurs, c’est juste après la Grande Guerre qu’il fit la connaissance, Chez Victor, rue de Compiègne à Paris dans le Xe arrondissement, de Jack Cunnington appelé à une carrière d’entraîneur à Chantilly, et qui devint l’un de ses plus fidèles amis...Lire la suite...