Jean-Louis Gouraud : “L’amour des chevaux est sans remède”
Osera-t-on dire que Jean-Louis Gouraud est un drôle de zèbre ? Écrivain et directeur de collections, avec plus de cent titres à son palmarès, comme auteur ou éditeur, journaliste toujours actif, de la revue Cheval-Chevaux, chroniqueur qui n’aime rien tant que de ruer dans les brancards, inspirateur de films, avocat de toutes les causes équestres, du sauvetage du cimetière équin de Tsarskoïe Selo à la protection de races en danger comme l’akhal-téké, notre homme fait rimer hippique avec épique et justifie la définition que le journaliste Gilbert Comte donna jadis de lui : « Dieu créa le cheval, puis, pour s’en occuper, il créa Gouraud. » À Jours de Cheval, il confie ses passions, ses emballements et ses coups de gueule.
Vous vous dîtes quelquefois l’ambassadeur ou le représentant des quadrupèdes parmi les bipèdes, vous vous proclamez hippophile, voire hippolâtre. Regrettez-vous de ne pas être un cheval ?
Pertinente question ! J’aime tellement les chevaux qu’il m’arrive parfois de me prendre pour un cheval. Comme le savent les lecteurs de mes chroniques dans la presse hippique ou ailleurs, il m’arrive de caracoler, de ruer, de botter, de hennir, de me cabrer, à propos des sujets qui m’agacent (le plus souvent) ou m’enthousiasment (plus rarement, hélas !). Mais ces ruades ne sont pas toutes l’expression d’un caractère de cabochard, elles peuvent aussi traduire la gaieté et la belle humeur. Lors d’un de mes séjours en Asie, j’ai rencontré un vieux gourou indien qui m’a assuré que j’étais la réincarnation d’un étalon. Plutôt que de descendre d’un pauvre bipède, je trouve cette filiation flatteuse…
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Comment cette passion équine est-elle arrivée dans votre vie ?
Ce n’est aucunement une hérédité familiale, mais une passion d’enfance. Je me souviens que dans le Paris de ma jeunesse, dans le XIIIe arrondissement, les livraisons se faisaient encore avec des voitures à chevaux et je me précipitais pour admirer les attelages. À l’âge de 10 ans j’avais composé un petit bouquin ambitieux, le Cheval, fier compagnon, c’est dire combien ma vocation d’auteur et d’éditeur équestre est ancienne ! Pas de tradition familiale donc, même si mon grand-père maternel avait été cavalier de manège à l’École de cavalerie de Saumur. Avant la guerre, il était préposé au débourrage des chevaux que l’on faisait venir d’Afrique du Nord pour remonter nos régiments. C’est alors qu’il a été victime d’un accident et a dû quitter l’armée. Il m’impressionnait, mais je ne l’ai jamais vu à cheval. Je n’ai aucune honte à dire que ma relation au cheval était et est restée puérile. Chaque fois que j’aborde un cheval, j’ai un sourire aux lèvres et de la joie au coeur. Pourtant, je sais de première main que les chevaux ne vous sont pas reconnaissants de l’amour qu’on leur porte, qu’ils sont des “bêtes à chagrin”, qu’ils sont, comme disait Churchill, « dangereux devant, derrière et inconfortables au milieu », et qu’à moins d’être déjà milliardaire on ne devient pas millionnaire grâce à eux, tout au contraire… Mais c’est ainsi, mon hippophilie est une maladie sans remède !
À quel moment et comment avez-vous été mis à cheval ?
Tardivement et empiriquement. Ma famille n’avait pas les moyens de m’offrir des leçons d’équitation, aussi je rôdais autour des manèges pour renifler l’odeur des chevaux. À Neuilly, notamment, rue d’Orléans, où existait un drôle de manège, le manège Ovine. Les chevaux y étaient entassés dans les boxes comme des sardines en boîte, si bien qu’il fallait, pour en sortir un, évacuer d’abord tous les autres. Tous mes loisirs se passaient là-bas, et j’avais fini par me lier d’amitié avec un vieux palefrenier, un ancien jockey, auquel je donnais un coup de main pour panser les chevaux. À la longue, le maître de manège, qui avait remarqué mon assiduité, m’a proposé de me mettre en selle. Durant un an, il m’a donné des cours gracieux, en échange des services que je rendais aux écuries. C’était une instruction traditionnelle, du tape-cul sans étrier. De quoi vous forger une solide assiette !
Vers quel type d’équitation allait votre préférence ?
La seule équitation qui m’ait jamais plu, c’est l’équitation d’intérieur. Tourner en rond ou faire des huit dans un manège m’ennuie et le saut d’obstacles dans une carrière ne me passionne pas. En revanche, galoper dans la nature, découvrir le monde du haut d’une selle, ça, c’était exaltant ! J’ai eu la chance que mon métier m’offre l’opportunité de monter à cheval dans le monde entier, à l’exception de l’Amérique latine…
Votre métier, c’est-à-dire ?
Je suis entré dans la presse à 18 ans, comme apprenti journaliste au Figaro. Le métier satisfaisait pleinement mes penchants naturels : la curiosité, le goût des rencontres, des voyages, le plaisir d’écrire…
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Par la suite, après avoir passé sept ans à Jeune Afrique, comme responsable des pages Culture puis rédacteur en chef, ce qui m’a permis de parcourir en tous sens le continent africain, en voiture, à pied et à cheval, j’ai monté une société de conseil en édition à destination des pays arabes et africains, Média International. Cette activité m’a donné le temps de voyager davantage et a précipité ma conversion au monde du cheval. L’aboutissement a été, en 1990, mon périple russe : rallier Moscou à cheval depuis la région parisienne, avec deux trotteurs, en changeant de monture à mi-journée, afin de les ménager. Premier Occidental à entrer en Union soviétique à cheval, je suis arrivé à Moscou le 14 juillet après avoir parcouru 3 333 kilomètres en 75 jours. J’ai raconté ce voyage et le pèlerinage que j’ai effectué vingt ans après sur mes traces dans le Pérégrin émerveillé. Après cela, j’ai compris qu’il n’y avait rien de plus important dans la vie que mes chers quadrupèdes...Lire la suite...