Confidences

Jérôme Garcin : "le bonheur est sur le dos d'un cheval"

Jérôme Garcin : "le bonheur est sur le dos d'un cheval"
L'équitation et le cheval ont inspiré à Jérôme Garcin nombre de ses livres © C. Helie/Gallimard

Parler de soi et des chevaux est un exercice délicat. [...] Dans l’art d’exalter l’harmonie musicale qui unit un cavalier à sa monture, cette liaison quasi amoureuse que García Lorca chante si bien dans un poème du Romancero gitan, Paul Morand, Jean Giono furent maîtres. De nos jours, Jérôme Garcin est l’un des hommes qui décline le mieux ce talent. Par pudeur, exigence, souci d’être à la hauteur de ses rêves et de ses passions, il s’est d’abord avancé masqué, s’abritant derrière d’autres – Jacques Chessex, André Dhôtel, Jean Prévost – avant de se “déclarer”.

 Dans la Chute de cheval puis C’était tous les jours tempête, il se révélait davantage, confessant la blessure toujours à vif de deuils familiaux et comment, sur des ruines, « fonder une nouvelle vie et entretenir la mémoire de ceux qu’on a aimés », ou se démarquant, à travers le parcours d’un ambitieux météorique, Hérault de Séchelles, de ce qu’il rêvait d’être jadis. Avec Perspectives cavalières, il rendait un vibrant hommage aux chevaux et à ceux qui les aiment, des glorieux écuyers de Saumur au mirobolant Bartabas, de Jean Rochefort à Philippe Noiret, sans oublier d’admirables inconnus. Depuis, d’autres livres, de Galops à l’Écuyer mirobolant, ont témoigné que le bonheur est dans les paddocks et les carrières, les chemins creux et les forêts profondes où se scelle, sous la selle, le pacte immémorial entre l’homme et sa monture. À Jours de Cheval, Jérôme Garcin livre ses confidences.

Votre rapport au cheval s’inscrit sous le signe initial d’un drame, la mort de votre père que vous avez racontée dans “la Chute de cheval”. Se mettre en selle fut-il pour vous un exorcisme, un défi ou une thérapie ?

 Lorsque mon père est mort, j’avais à peine 17 ans et j’ignorais les circonstances dans lesquelles il s’était tué à cheval. Plusieurs années auparavant, j’avais perdu mon frère jumeau dans un accident de la route, renversé par un chauffard qui s’était enfui. Le décès accidentel de mon père était une mort de trop. Je ne la supportais pas, aussi mon premier réflexe a été un rejet viscéral du cheval, réflexe que je n’avais pas lorsque j’accompagnais mon père aux écuries. Dans les années qui ont suivi ce drame, je ne pouvais approcher un cheval ou un paddock. À mes yeux, tout cheval était un assassin. Pourtant, mon père avait exorcisé la mort de son fils par la pratique de l’équitation. Il cherchait, je pense, un sport qui le mette en danger, lui qui était un pur intellectuel. Si je suis arrivé, à mon tour, à l’équitation, c’est par le biais de mon fils Gabriel que j’avais inscrit dans un club de poneys. Un jour, il m’a tendu les rênes et m’a dit : “Viens donc monter avec moi !” Ce fut un geste décisif, et salvateur. J’avais alors la trentaine et je me suis mis à cheval pour lui faire plaisir. Après, s’est produit un déclic. Lorsque j’ai été suffisamment expérimenté pour pouvoir sortir seul, à cheval, à l’extérieur, le processus du deuil s’est inversé. Tout ce qui était marqué du signe négatif s’est métamorphosé en positif. J’ai compris que j’étais heureux en selle et je compris le bonheur de mon père, ce qui lui avait permis de survivre à l’insupportable. Si bien que ma détestation s’est muée en exercice de gratitude.

 On évoque beaucoup, depuis quelques années, la thérapie par les chevaux. Peut-on dire que l’équitation vous a libéré ?

Non seulement le cheval m’a libéré mais il m’a autorisé à écrire. De sorte que je dois à l’équitation le pire et le meilleur de ma vie. Ma selle est devenue l’équivalent du divan du psychanalyste. J’ai échappé à la cure psychanalytique par le cheval. Je suis convaincu qu’on ne peut avancer dans la vie qu’en cachant les choses les plus intimes, en réfrénant ce qui vous fonde. La Chute de cheval, que j’ai publié à la quarantaine, en 1998, a été la hache qui a brisé la glace. Dès lors, je me suis mis à raconter ce que je gardais dans mon for intérieur. Les idées qui sont à l’origine de mes livres, les titres sont venus à moi quand j’étais en selle. À peine descendu de cheval, je courais coucher sur le papier le fruit de mes soliloques cavaliers. Depuis, je ne puis écrire qu’en montant, au point que je me demande si, arrêtant de monter, je serais encore capable d’écrire. Confident et complice, le cheval a été mon intercesseur dans le monde de la littérature et de l’écriture. Ce qui, au départ, était une passion personnelle s’est élargi, et ce fut ma chance, en aventure familiale, ma femme et mes fils m’ayant emboîté le pas. Quand on connaît mon histoire, que cette passion ait été partagée est encore plus beau et plus fort. Comme il n’est pour moi d’équitation que d’extérieur, cette aventure nous a aussi conduits à nous installer en Normandie, terre de chevaux s’il en est …

 Revenons à “la Chute de cheval”. Vous y racontiez une histoire très personnelle et, étrangement, cette histoire a rencontré beaucoup d’écho dans le public. Paradoxal, non ?

Le livre mélangeait le récit de la mort de mon père et des impressions très personnelles. Son succès était imprévisible et j’ai été le premier surpris. Quelque temps après sa paru tion, j’ai reçu un appel téléphonique d’un homme âgé, que je ne connaissais pas, et qui tenait à me raconter les causes de la chute mortelle de mon père. Cet homme était à l’époque moniteur d’équitation dans le manège où mon père avait ses habitudes. Le jour de sa mort était un dimanche et il y avait beaucoup de cavaliers. Si bien qu’ignorant les consignes, quelqu’un a donné à mon père un cheval braque, surnommé “Le tueur”, qui ne devait jamais être monté à l’extérieur car il s’emballait et devenait impossible à maîtriser. Plus on tirait sur les rênes, plus il s’appuyait sur le mors et accélérait son galop. Mais, dès qu’on lâchait les rênes, il s’arrêtait...Lire la suite...