La force tranquille du percheron
Après le déclin de ce cheval qui parut irrémédiable, ses qualités et l’intelligence de ses éleveurs changèrent la donne. Il est aujourd’hui universellement apprécié.
Le passage du cheval au tracteur, outre-Atlantique à la fin du XIXe siècle, en France au moment du plan Marshall après la Seconde Guerre mondiale, a sonné le glas du cheval de trait. Sur le sol américain comme en Europe de l’Ouest, les races lourdes frôlent alors l’extinction et ne résistent que pour la boucherie. Elles représentent aujourd’hui en France moins de 10 % de l’effectif équestre. Sur les neuf races de chevaux de trait reconnues, l’une surtout connaît un destin exceptionnel, le percheron. Avec son nom si célèbre qu’il a fini par devenir un substantif désignant tous les chevaux de trait, le percheron rencontre un nouvel engouement au tournant des années 1990, dans le sillage de la montée en puissance du développement durable et de l’essor des nouveaux cavaliers de loisir, en quête d’un cheval élégant, puissant et doux, qui soit capable de les porter sans s’emporter.
Pour le débardage, l’entretien des vignes, le transport urbain, que certaines villes rendent aux chevaux au nom du développement durable, les percherons font figure de chevaux parfaits. La ville de Trouville-sur-Mer (Calvados) en emploie deux, Rio et Ravel, hongres âgés de 9 ans. Olivier Linot, directeur général des services de la mairie, qui préside par ailleurs la Commission nationale des chevaux territoriaux, y voit la race idéale pour un usage urbain, à la fois calme et équilibrée destinée au ramassage scolaire, pour la plus grande joie des enfants, assez puissante pour tirer la citerne à eau lors de l’arrosage des espaces verts ou la benne du tri sélectif. Le volume des déchets collectés a été multiplié par sept depuis que la voiture passe dans les rues, polarisant des habitants enchantés de caresser un cheval !
Comme l’habitude urbaine des chevaux s’est perdue depuis plus d’un siècle, la mairie a dû tout inventer : repenser la ville, si dangereuse avec ses bouches d’égout, ses bornes antistationnement et tous les obstacles à la circulation de la voiture hippomobile, créer un collier d’épaule léger qui s’ouvre par le dessous, des sacs à crottin pour ne pas maculer la voirie, se doter de roues pleines et non de pneus, d’un système de protection contre la pluie, poser des fers avec des pointes au tungstène, embaucher des cochers formés… Un savoir-faire si précieux que la première équipe de trois chevaux, avec son meneur, a été débauchée pour les navettes du mont Saint-Michel !
Pourquoi des percherons ? Parce que la race a tout pour plaire. Ses récits fondateurs la dotent d’une aura que la Société hippique percheronne de France (SHPF), créée en 1883 à Nogent-le-Rotrou, capitale du Perche, défend avec force. Ne dit-on pas que le percheron puise sa noblesse et son élégance dans de nombreux croisements, à commencer par les chevaux arabes amenés dans le Perche après la défaite de Poitiers en 733 ? Même s’il a aujourd’hui essaimé dans le monde entier, le percheron reste indissociable de son berceau, où des éleveurs avisés ont su au fil des siècles faire évoluer le modèle en fonction des besoins du marché. Pendant le Moyen Âge, des étalons andalous auraient apporté leur sang aux juments du Perche, faisant de lui le cheval des croisades par excellence : courageux, puissant, porteur et en même temps docile et résistant, il présente toutes les caractéristiques que les croisés attendent de leurs montures. ...Lire la suite...