Cheval grec, entre mythe et histoire
NOMBREUSES SONT LES SCULPTURES OU LES PEINTURES DE L’ANTIQUITÉ GRECQUE QUI REPRÉSENTENT LE CHEVAL, ATTELÉ OU MONTÉ. MAIS À QUOI RESSEMBLAIT-IL ? QUELS USAGES EN FAISAIENT LES GRECS ? ET QUEL ÉTAIT SON STATUT ? VOYAGE AU PAYS DE BUCÉPHALE…
On attribue à Bucéphale, le cheval d’Alexandre le Grand, des origines diverses. C’est qu’il jouit du même prestige que son maître : il a en effet parcouru avec lui des milliers de kilomètres lors des conquêtes, jusqu’aux confins de l’Inde. À ce titre, il a bénéficié d’une incroyable célébrité, ce qui a poussé les commentateurs de toutes les périodes à lui dresser une généalogie exceptionnelle. Un récit médiéval le faisait ainsi descendre d’un dromadaire et d’un éléphant… alors que d’autres auteurs postérieurs, plus inspirés, le considéraient comme issu de la lignée de Pégase.
THESSALIE, TERRE DE CHEVAL
Mais au-delà de la légende, les Grecs identifiaient les chevaux selon leur région d’origine. Ainsi, selon Plutarque, Bucéphale provenait de Thessalie : les boukephaloi désignaient en effet des montures originaires de cette région du nord de la Grèce. Cette version est confirmée par le fait que l’on a retrouvé, à Athènes, des lamelles de plomb datant du IVe et du IIIe siècle avant J.-C., sur lesquelles étaient inscrites des informations concernant des chevaux destinés à constituer la cavalerie de la cité, parmi lesquelles le nom du propriétaire, le prix, la robe et la marque. Parmi ces marques, on retrouve l’adjectif boukephalas, qui correspondait à un élevage thessalien.
La Thessalie est bien une terre du cheval. C’est une des rares régions de Grèce aux vastes plaines, aux gras pâturages arrosés par de nombreux cours d’eau, comme le fleuve Pénée. Dans l’Antiquité, il y existait une culture équestre très affirmée. De riches propriétaires pouvaient se vanter de posséder des troupeaux importants. Comme en Camargue, on poursuivait les taureaux à cheval que l’on capturait avec une sorte de lasso. On remettait à chaque future mariée un cheval harnaché en guise de dot. La cavalerie thessalienne était redoutée et pouvait mobiliser plusieurs milliers de soldats.
Les chevaux de cette région se distinguaient des autres chevaux grecs. La plupart des sources littéraires indiquent qu’ils étaient grands, rapides, bien proportionnés, avec une encolure arrondie, ayant pour certains le dos double. Des auteurs précisent que les chevaux représentés sur la frise du Parthénon, à Athènes, étaient thessaliens. Phidias les aurait donc figés dans le marbre pour l’éternité dans une sorte d’idéalité vraie, comme des archétypes équins aux muscles et veines ressorties, aux yeux vifs, aux jarrets courts, avec un port de tête noble et des chanfreins droits ou légèrement busqués. Voilà donc une image supplantant l’idée platonicienne du beau : les chevaux thessaliens, miracles de l’élevage, participeraient donc du miracle grec…
UNE OFFRANDE AUX DIEUX
Ou du “mirage” grec ? Les artistes, même les plus grands, sont rarement des hippologues. S’ils s’appuient sur la réalité, les modes et les contraintes esthétiques les obligent à quelques concessions, d’où quelques erreurs parfois. Certains, comme Phidias, tendent pourtant vers l’universel. Les chevaux de la frise du Parthénon ne sont pas thessaliens, ni grecs, ni du passé. Ils sont la perfection sortie de la pierre, une offrande aux dieux, un acquis pour l’humanité qui les regarde. Goethe s’était extasié devant ces marbres. Il admirait plus que tout la tête du cheval de Séléné, sur laquelle, écrit-il, « un des restes les plus magnifiques de la plus haute époque de l’art, les yeux, qui surgissent librement, se trouvent rapprochés de l’oreille. Ainsi, la vue et l’ouïe semblent s’exercer absolument ensemble, ce qui permet à la noble créature, au prix d’un faible mouvement, aussi bien d’entendre que de regarder derrière elle. Son excès de puissance, son aspect surnaturel feraient croire qu’elle a été formée contre la nature ; pourtant, plus on l’observe, plus on comprend que l’artiste a créé à proprement parler un Urpferd, qu’il l’ait vu de ses yeux ou conçu dans son esprit ».
UN TYPE DE CHEVAL GREC ?
L’Urpferd : “le cheval originel”, “le cheval primitif”. Essayons de croire un instant le poète allemand. La Grèce serait le berceau de cet archétype équin. Alors le tour serait vite joué : simplicité d’un récit des origines si linéaire, qui ancrerait alors Bucéphale dans la lignée de ce cheval de Phidias, en une sorte de pur désir mimétique où la monture thessalienne galoperait de concert avec les chevaux des frises ou de la statuaire, où donc l’histoire ne serait qu’éclat de marbre. La perfection et la beauté des sculptures imposent cependant au spectateur admiratif une difficulté dès lors qu’il souhaite déterminer, au-delà de cette idéalité, un quelconque “type” de chevaux grecs (“type” et non “race”, terme selon nous trop anachronique)...Lire la suite...