Haras nationaux : la fin d’une longue histoire
C’est terminé… Au début de l’été, France Haras, contrôlé majoritairement par les pouvoirs publics, a annoncé que les quelque 400 étalons qui appartiennent encore à l’État devront être vendus d’ici à la fin 2014. Bref, c’en sera définitivement fini de l’étalonnage public.
Qu’on ne s’y trompe pas, c’est une page pleine et entière de l’histoire du cheval en France qui se tourne, car n’a-t-on pas dit pendant longtemps que, dans notre pays, “le plus grand haras appartient à l’administration” ? Les “Haras”, comme on les appelait, étaient l’une des plus anciennes administrations françaises, puisque sa création remontait à l’arrêt du Conseil du roi du 17 octobre 1665, sur l’influence de Colbert, soucieux de remonter la cavalerie royale, décimée par les guerres italiennes et les guerres de Religion. Il voulait aussi remédier à l’anarchie régnant en matière d’élevage de chevaux, qui menait à l’abâtardissement des races nationales, et éviter les achats à l’étranger. Supprimés sous la Révolution, les Haras seront rétablis par Napoléon. Par opposition aux Anglais, il favorisera les races de pays alliés ou orientales (découvertes entre autres lors de la campagne d’Égypte) et affirmera que les Haras impériaux auront pour mission de mettre des étalons de prix à disposition des particuliers pour créer ou entretenir les races et aider les éleveurs. Au fil des décennies, les Haras seront responsables de la production du cheval de service et de guerre.
Mais, dans le même temps, et non sans heurts, les Haras vont prendre part au monde des courses en pleine expansion. Aussi, et cela dans la seconde moitié du XIXe siècle, les Haras se réserveront le rôle d’organisme de tutelle des courses et auront le monopole de l’enregistrement des naissances ; concomitamment, ils comprendront tout le parti qu’ils peuvent tirer des courses, vite considérés comme un mode efficace de sélection des “races légères” et les intégreront dans leur politique d’élevage. Bref, les chevaux de selle et d’armes seront peu à peu améliorés par recours à “l’étincelle” des géniteurs de pur-sang anglais, eux-mêmes sélectionnés sur leurs talents sur leurs hippodromes.
Le cheval de guerre n’est plus depuis longtemps, mais le sport reste. Ce pouvoir d’intervention permettra de mettre à disposition des éleveurs dans toutes nos campagnes des étalons de grande qualité, aussi bien de sport que de courses. En proposant des tarifs de saillies à moindre coût (car subventionnés par la part de prélèvement sur les jeux mutuels, qui rejoint les fonds publics alloués aux Haras nationaux), l’administration des Haras est déterminante dans la production de chevaux de courses (que ce soit les trotteurs – car sans les Haras, le trotteur français n’aurait jamais pu se développer – ou les chevaux dit d’obstacles, qu’Anglais et Irlandais nous envient) et de chevaux de sport. Las. Au lendemain de la guerre, les Haras nationaux sont contestés. Les raisons ? Dans les couloirs des ministères, certains n’admettaient pas comment on peut encore aider des éleveurs de chevaux, l’étalonnage étant, il est vrai, assez éloigné d’une mission régalienne. Sans compter que la prestigieuse administration des Haras est très jalousée. La sortie semble inexorable. En 1982, le corps des officiers des Haras est dissous. Peu à peu, les étalonniers privés – soutenu par la Commission européenne – admettaient de moins en moins l’intervention des Haras nationaux, synonyme de concurrence déloyale. Et dans un contexte de restrictions budgétaires, les Haras sont une cible toute désignée. Et pourtant, rappelons-le, ils ne coûtaient rien à l’État grâce à une taxe de 0,7 % du PMU (qui finançait l’ensemble de la politique des Haras, c’est-à-dire achats d’étalons, chevaux confiés à des centres équestres, aide à la Fédération française d’équitation…) Hélas, cette taxe dépendait des comptes spéciaux du Trésor, qui furent supprimés en 2001, sous la pression des parlementaires qui ont mis en avant la règle de la sacro-sainte comptabilité publique qui veut qu’une recette ne puisse jamais être attribuée à une dépense précise ; ladite taxe est alors délitée dans le budget des ministères de l’Agriculture et des Sports. N’oublions pas non plus que les étalons de sport et de courses sont rentables (au contraire des étalons de trait). Après bien des tourments, les Haras, l’École nationale d’équitation et le Cadre noir de Saumur sont fusionnés en 2010 dans l’Institut français du cheval et de l’équitation.
Avec un peu de recul, cette affaire donne le sentiment d’un immense gâchis. Et l’on ne peut que regretter que les Haras n’aient pas fait leur révolution il y a une génération, plutôt que de rester sur un statut qui ne se justifiait plus. Il n’en demeure pas moins que la fin historique des Haras va poser à terme de vrais problèmes : il est illusoire de croire que les petits éleveurs sont prêts à payer le prix fort pour un étalon, et ils préféreront arrêter. Les politiques risquent de se rendre compte un peu tard que les Haras étaient partie intégrante de l’aménagement du territoire. Pour l’heure, il faut tout à la fois reconvertir les sites et les 500 agents techniques à qui sont dévolus des missions de formation (métiers d’art, maréchalerie…), scientifiques… C’est autre chose mais certainement plus les Haras.