Emile Hérmes : "conserver ces témoignages pour les transmettre aux générations futures"
La maison Hermès veille, chez elle à Paris, sur une collection exceptionnelle, consacrée principalement au cheval. Inséparable de son créateur, Émile Hermès, elle inspire tous les métiers du célèbre sellier.
Vous respirez ici l’âme d’Hermès ! Par cette affirmation Jean-Louis-Dumas (1938-2010), président d’Hermès de 1978 à 2006, caractérisait les lieux. C’est en effet dans l’immeuble du fameux sellier qu’est conservé, intact, au deuxième étage, le cabinet de travail d’Émile-Maurice Hermès (1871-1951), petit-fils du fondateur. Le souvenir de cet homme hors du commun reste entier tant par le dynamisme qu’il donna à sa maison à l’aube du XXe siècle – celui de l’innovation ancrée dans la tradition – que par la place réservée à sa collection époustouflante. Celle-ci est présentée justement dans son bureau, qui fut aussi, dès l’origine, son écrin.
Le cabinet de travail d’Émile Hermès est devenu, au fil des ans, comme une salle d’honneur, semblable à celle des régiments où l’on cultive l’esprit de corps, la mémoire des Anciens, les souvenirs d’autrefois, où l’on accumule objets et symboles avec un religieux respect. Autant de gages de fierté, autant de repères pour aller de l’avant et, en quelque sorte, en effet, l’âme et le socle d’une institution.
Au coeur donc de l’immeuble du 24, relié au magasin du rez-de-chaussée par un puits de jour, le bureau d’Émile Hermès recèle une collection de merveilles, acquises essentiellement de son vivant, aux détours de ses voyages à l’étranger (un fameux séjour de jeunesse en Russie notamment en 1898), ou dans les ventes aux enchères. Elle a pour thèmes principaux : le cheval et le voyage, au travers de toutes les cultures, époques et techniques artisanales. Elle est, en somme, un hommage à « l’élégance en mouvement » comme le dit Menehould de Bazelaire, la directrice du patrimoine culturel d’Hermès.
Cette collection privée n’est pas un musée. Elle en est même le contraire. Pas d’ordonnancement chronologique, aucune présentation thématique, mais un entrelacs d’objets en tous genres s’étendant de 2000-3000 ans avant Jésus-Christ à nos jours (elle est augmentée régulièrement). Elle n’est pas non plus le conservatoire des savoir-faire d’Hermès puisque seuls quelques objets de la maison y figurent. C’est tout simplement la collection d’un amateur, d’un homme qui avait le goût des belles choses, d’un entrepreneur amoureux du travail bien fait. Menehould de Bazelaire, qui nous accueille, explique : « le grand-père d’Émile Hermès avait créé une entreprise de sellier-harnacheur à Paris sous Louis-Philippe, en 1837. Émile Hermès vient au jour dans un Paris en plein essor, en pleine mutation. C’est un homme de la Belle Époque. Il a vu ce monde en plein mouvement, l’arrivée du progrès, et il a rassemblé des objets qui lui semblaient témoins d’un art de vivre assez fragile, d’un monde merveilleux. Au tournant du XXe siècle, cette civilisation a été anéantie par la guerre de 1914. Partant de là, la démarche du collectionneur a pris un sens tout autre : il a rassemblé des objets dont la disparition lui apparaissait fatale. Cela lui est apparu comme une mission : conserver ces témoignages pour les transmettre aux générations futures. »
L’automobile se développe en effet tandis que la civilisation équestre, alors à son apogée, décline. Souvenons-nous que Paris comptait encore, à la fin du XIXe siècle, près de 90 000 chevaux. Le cheval était au centre de tout : des transports évidemment ; de l’armée, dont la cavalerie et l’artillerie notamment étaient montées ; des loisirs. Les courses étaient florissantes et les pistes des cirques fréquentées par des écuyers et des écuyères applaudis du Tout-Paris. Les promenades à cheval, au bois, étaient quotidiennes.
Le gendre d’Émile Hermès, Jean-René Guerrand, évoque dans ses Mémoires, Souvenirs Cousus Sellier (1988), la figure de son beau-père : « Émile Hermès était né collectionneur, collectioneur passionné, collectionneur désintéressé. » Il avait commencé sa collection à 12 ans, investissant la totalité de son premier argent de poche dans l’achat d’une charmante canne-ombrelle. À sa mort, Émile Hermès avait réuni une collection riche d’un nombre considérable d’objets et de tableaux et constitué une bibliothèque de quelques centaines de livres. Une belle photo de lui, d’une sobre élégance, le représente dans son bureau, qu’il appelait son « petit musée », assis devant le portrait de Louis XIV par René-Antoine Houasse. Le bâton de commandement du roi est placé de telle manière que le roi semble chevaucher une licorne.
Sur cette même photo, la main droite d’Émile Hermès est posée sur une pièce rarissime, unique en réalité, qu’il appréciait tout spécialement : le cheval mécanique du petit Louis- Napoléon, fils de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie. Le raffinement de ce tricycle-cheval est très poussé : le bois du cheval est recouvert de peau de poulain, les crins sont véritables et la selle, en velours de soie, est la reproduction exacte de la selle de son père. La collection comprend d’ailleurs une petite paire d’éperons, en argent, ayant appartenu au prince impérial. Le coffret porte l’inscription « Loulou », surnom par lequel il était appelé. De lui, également un joli portrait d’enfant, par Benedict Masson, est aussi conservé. Le jeune cavalier, en redingote de vénerie, monte Bouton d’or à Fontainebleau...Lire la suite...