Culture

Le cirque, chapiteaux des arts équestres

Le cirque, chapiteaux des arts équestres
Superbe cabriole, un des sauts d'école les plus spectaculaires, réalisé ici par Alexis Gruss senior © Collection Arlette Gruss

Le cirque “moderne” a été inventé pour des spectacles d’art équestre. Son histoire et celle de l’équitation académique étaient étroitement liées avant de prendre des chemins différents. Pour la gloire du cavalier et celle de son cheval.

La cavalerie Alexis Gruss et le Cadre Noir réunis dans le même spectacle le 29 et 30 mai derniers ! Gageure ou provocation ? C’est pourtant ce que proposait, au Théâtre antique d’Orange, la deuxième édition des Équestriades, le grand festival équestre du cirque Alexis Gruss. Pour la première fois, le meilleur du cirque et le meilleur de l’équitation académique s’unissaient sur le même plateau pour rendre ensemble un hommage à l’art équestre. Quelle magnifique mais tardive reconnaissance mutuelle ! L’histoire du cirque et celle de l’équitation académique ne se confondent-elle pas dans cette même finalité, cette même recherche du beau, tout entière dans le mot art ? Leurs liens furent étroitement mêlés au cours de leur histoire, mais la créativité inhérente de l’un ne pouvait s’accommoder de la rigidité des codes de l’autre. Ils ont fini par s’éloigner. Chacun prospéra alors à l’ombre d’un public bien différent. Pourtant, il faut se souvenir que c’est pour offrir des spectacles relevant d’abord de l’art équestre que le cirque fut inventé ; il ne faut pas oublier qu’il devint pendant des décennies, l’ultime lieu de transmission et de démonstration de l’équitation classique quand son enseignement fut anéanti par la tourmente révolutionnaire.

 Art équestre dit-on ! Mais de quoi s’agit-il ? Le terme est employé parfois improprement ; cependant, on peut dire simplement que l’art équestre est à l’équitation ce que la danse est à la marche. Il est l’expression et la recherche désintéressée du beau et de l’esthétique. Comme la danse idéalise le geste, l’art équestre tente de sublimer les airs et les allures du cheval au-delà de ceux que celui-ci montre en liberté. Le cavalier, artiste ou virtuose au savoir indicible, transcende la beauté naturelle de sa monture. Mais, ce faisant, il se transcende lui-même à travers elle. À partir de la Renaissance, l’art équestre ou l’équitation savante est enseigné par les grands maîtres qui vont de Pluvinel à Abzac en passant par La Guérinière. Il devient, pour ceux qui y ont accès, c’est-à-dire la noblesse, un élément incontournable de cet “art de cour” ou “art du paraître”, clé de voûte de la société de l’Ancien Régime. Selon la formule de Corinne Doucet dans son excellent ouvrage sur les Académies d’Art équestre dans la France de l’Ancien Régime, « le cheval “mis” différencie la noblesse du reste de la société ». Cette équitation dite classique aura une renommée internationale à travers l’école de Versailles fondé en 1680 par Louis XIV. Cependant, ce sont d’authentiques écuyers de grand talent, souvent oubliés aujourd’hui, qui, à la fin du XVIIIe siècle, ont transformé, par amour de l’art, du beau et du cheval, cet apanage typiquement aristocratique en “fonds de commerce” de l’univers circassien naissant.

 Alors qu’en France, débute le règne de Louis XVI dans l’atmosphère étrange de la fin d’un monde, la passion du cheval, en Angleterre, bat son plein : les courses, l’élevage, la sélection, la chasse au renard et tout ce qui touche à l’équitation d’extérieur sont à la mode. Il semble, à l’inverse, que les Anglais n’aient jamais été intéressés par l’équitation dite académique. Il faut dire que les guerres avaient démontré depuis longtemps l’inutilité des airs d’école sur le champ de bataille ! Outre-Manche, cette équitation savante n’est pratiquée que par des troupes de saltimbanques qui, reprenant les spectacles de carrousel conçus pour l’aristocratie, produisent des spectacles équestres. En marge des fêtes, ce sont des démonstrations équestres où se mêlent la voltige, les acrobaties à cheval, les prouesses de dressage et les exercices de combat typiquement militaires. Ces démonstrations se déroulent sur des terrains vagues au hasard de leurs déplacements. Elles ont un grand succès auprès d’un public populaire et urbain peu concerné par l’activité équestre à la mode, mais friand des démonstrations excentriques et périlleuses qui le font rêver...Lire la suite...