François Mathet, prince des entraîneurs et entraîneur des princes
Le “Sphinx de Gouvieux” est l’un des plus grands noms de l’histoire des courses par son palmarès, sa personnalité et son sens aigu de l’observation. Un nom indissociable de celui d’Yves Saint-Martin.
S’il est une légende dans les courses françaises, c’est bien celle de François Mathet. Trente ans durant, il régna sur la profession d’entraîneur, gagnant les courses les plus prestigieuses et faisant le bonheur des propriétaires, parmi les plus grands, qui joignirent leur destin au sien, qu’ils se nomment François Dupré ou l’Aga Khan. De 1956 à 1982, sa dernière saison, il conquit vingt-sept titres consécutifs de numéro un des entraîneurs quant au nombre de victoires et fut quatorze fois leader en termes de gains entre 1961 et 1982 ! Professionnel hors pair et homme de caractère, il trouva en Yves Saint-Martin le fameux jockey qu’il façonna, son double et complément idéal à cheval. Et pourtant, derrière ce palmarès, curieusement, François Mathet reste presque une énigme, tant l’homme fut discret pour ne pas dire secret… Ce n’est pas sans raison qu’il était surnommé le “Sphinx de Gouvieux”…
François Mathet naît à Vesoul, en 1908. Fils de militaire, il embrasse lui aussi la carrière. Après être passé par la prestigieuse école de Saint-Cyr, il intègre un régiment de cavalerie, où il est formé à l’équitation sportive. Son premier contact avec la compétition, il l’a dans les militarys, ces steeple-chases naguère voués aux militaires, à la faveur desquels il a tôt fait de multiplier les succès. C’est qu’il est un cavalier talentueux, “sentant” son cheval mieux que quiconque. De son propre aveu, cette expérience initiale lui fut particulièrement profitable pour sa carrière d’entraîneur.
En 1934, François Mathet est lieutenant et est autorisé à prendre part aux courses civiles, dans les rangs des gentlemen-riders. Il s’y impose tout de suite comme le numéro un, la victoire lui souriant plus souvent qu’à son tour. Ainsi, quatre fois consécutivement, de 1934 à 1937, il remporte le titre de meilleur cavalier amateur. Déjà, dans sa catégorie, il est au sommet ; déjà, il vit pour le cheval et pour cette manière d’accomplissement qu’est la victoire. La guerre arrive et c’est à cheval, contre les panzers, que François Mathet fait la campagne de France. Son destin militaire le conduit ensuite au Liban et en Syrie, au sein de l’armée du Levant. De retour avec son unité, en 1941, en proie au désordre et à l’incompréhension consécutifs à la défaite, il quitte son uniforme de commandant, pour se tourner définitivement vers les chevaux. Nous sommes en 1942 et François Mathet est à l’aube, à 34 ans, d’une vie professionnelle exceptionnelle.
Le centre d’entraînement de Maisons-Laffitte, en région parisienne, est sa première destination. Il y va pour assister Maurice d’Okhuysen, entraîneur renommé, spécialement en obstacle. Malade, Okhuysen s’en remet beaucoup au jeune Mathet, dont il repère les qualités, déciet les résultats sont là pour lui donner raison. Parallèlement, François Mathet continue à monter en courses, dans les rares épreuves alors proposées aux gentlemen-riders. En mai1944, à Auteuil, il est à tous les postes, lors du succès de Eudes, qui court sous ses couleurs – casaque noire, manches blanches, toque verte – , qu’il a préparé et qu’il monte lui-même. Cette victoire initiale est suivie, durant l’été, d’une mauvaise chute, qui le fait réfléchir et l’incline à ne plus se consacrer qu’à l’entraînement. Il tourne définitivement la page en s’installant bientôt comme entraîneur public. Son effectif est réduit et de qualité modeste, constitué de ses propres chevaux, achetés ou, le plus souvent, loués, et de quelques autres. Mais le taux de réussite du professionnel débutant est remarquable, avec une trentaine de victoires, en 1945 et 1946, se répartissant de façon à peu près égale entre le plat et l’obstacle. Ces résultats ne sont pas sans attirer l’attention, y compris des plus grands et, en 1947, François Mathet est appelé par François Dupré, célèbre propriétaire (à la tête d’une chaîne hôtelière dont le Ritz), pour prendre en charge l’ensemble de ses chevaux. Sa carrière d’entraîneur prend alors son envol.
François Dupré n’est pas seulement propriétaire, il est éleveur, en son haras normand d’Ouilly, que reprit, plus tard, Jean-Luc Lagardère et qui est, aujourd’hui, la propriété de l’Aga Khan. Or, son élevage est l’un des plus performants du moment, avec celui de Marcel Boussac. En 1947, lorsqu’il s’assure les services de Mathet, François Dupré a, dans ses herbages, un certain Tantième, appelé à être le plus doué de ses élèves et à imposer définitivement son nouvel entraîneur sur le devant de la scène. Dans l’intervalle, le tandem Dupré-Mathet a connu son premier succès d’importance dans le Prix d’Ispahan, en 1948, grâce à Bel Amour. Mais, avec Tantième, on change de dimension, car le fils de Deux Pour Cent se révèle, tout bonnement, un crack. Tantième sera, en effet, le meilleur de ses pairs à 2, 3 et 4 ans. À 2 ans, il remporte le Grand Critérium et bat ses aînés dans le Prix de la Forêt. À 3 ans, s’il perd le Prix du Jockey-Club d’une courte tête, au profit du représentant de Marcel Boussac, Scratch – il n’y avait pas de photographie en ce temps-là et le juge à l’arrivée donna l’avantage à Scratch, décision que Poincelet, jockey de Tantième, n’eut de cesse de contester – , il gagne ses cinq autres courses, dont la Poule d’Essai des poulains, devant Galcador, futur lauréat du Derby d’Epsom, le Prix Lupin, les Queen Elizabeth Stakes, où il place sa tête devant celle de Coronation, gagnante de l’Arc la saison précédente, et le Prix de l’Arc de triomphe, précisément, où il prend sa revanche sur Scratch, seulement quatrième. À 4 ans, Tantième enlève le Prix Ganay, la Coronation Cup et, pour la deuxième fois, le Prix de l’Arc de triomphe, connaissant sa seule défaite, cette saison-là, dans les King George VI & Queen Elizabeth Festival of Britain Stakes, une épreuve nouvellement créée et richement dotée, où il ne peut se classer que troisième, après avoir mal voyagé, en avion, le matin même de la course...Lire la suite...